Impermanence [Installation / Performance (Youg Ho)]
Galerie Nadar. Casablanca
Octobre - Novembre 2012

Le titre de cette installation fait référence à l’un des concepts fondamentaux de l'enseignement bouddhiste. L’impermanence caractérise tout ce qui croît, s'installe et meurt. Ce changement continu constitue la nature propre de tous les phénomènes, qui  n’existent donc pas en tant qu’entités individuelles spécifiques, durables. L’enseignement bouddhiste voit dans la difficulté à admettre cette impermanence la cause de la souffrance et prône comme seul remède possible à cette souffrance l’acceptation de la vérité de l’impermanence. C’est quand on reconnaît que tout change et que rien ne dure qu’on peut trouver la sérénité.

Admettre la disparition des choses qui ont à peine commencé d’être, prendre conscience qu’elles ne persistent jamais de la même façon mais qu’elles disparaissent et se dissolvent aussi vite qu’elles sont nées, c’est accepter la fragilité essentielle de la vie et sa propre précarité. C’est se convaincre que la réalité que nous percevons est une illusion trompeuse. C’est parvenir à ne plus confondre le phénomène et le noumène sur l’écran de nos propres projections.

Privées de réalité, les choses n’ont comme seule vérité que leur apparence et n’existent que comme un voile qui dissimule la vacuité du monde. Rien n’existe au delà de cet écran trompeur. La seule réalité, c’est ce voile des apparences, cet écran illusoire.

Faten Safieddine a vécu des exils successifs et a notamment connu l’exode qui a suivi la guerre civile qui a ravagé le Liban à partir de 1975. Elle sait l’instabilité, la nature transitoire des choses, la précarité des campements. Adepte de la technique du Vipassana, elle pratique depuis plusieurs années une forme de méditation qui s’attache à la contemplation de cette impermanence. Les exercices auxquels s’entraîne le méditant ont pour visée de lui permettre de s’apercevoir que les phénomènes neuro-physiologiques dont il est le réceptacle ne font que disparaître sans cesse. .

L’installation Impermanence rend compte de cette vision globale de l’existence comme dissolution permanente des choses. Elle se présente comme une succession de voiles translucides suspendus parallèlement dans l’espace et y formant un volume translucide de 2,3 mètres de côté. Celui-ci constitue ainsi un écran aérien sur lequel sont projetés en continu trois films représentant chacun un état différent du film La Chrysalide, co-réalisé par Faten Safieddine et Othman Zine, qui en constitue la matrice originale unique.

Le film La Chrysalide a fait l’objet d’une présentation lors de la 4ème Biennale Internationale  d’Art de Marrakech dans le cadre d’une autre installation intitulée Métamorphoses. Aux fins de l’installation Impermanence, le film original a été dupliqué à trois reprises après avoir été l'objet de transformations multiples. De ce traitement complexe sont issues des images qui n’ont plus qu’un lointain rapport avec celles dont elles sont le reflet. Elles semblent représenter quelque forme embryonnaire ou quelque cellule au cours de sa division. Y sont nettement perceptibles les stades successifs du changement comme lorsqu’après avoir filmé un processus plan par plan, on en présente le déroulement en accélérant  la vitesse de défilement des images. Celles-ci s’estompent progressivement au fur et à mesure de la progression de la lumière à travers l’échelonnement des voiles. Rien ne semble s’inscrire sur le dernier qui n’ouvre que sur le vide.

La dissolution progressive des choses et leur caractère transitoire sont donc matérialisés à plusieurs niveaux par le dispositif présenté. D’une part, le mode de capture des images projetées qui altère un film antérieur s’inscrit dans un processus de dégradation progressive de la réalité antérieure. Il serait difficile, sauf à projeter côte à côte les différents états du film, d’en reconnaître la similitude. Celle-ci, en dernière instance, ne serait perceptible qu’à travers le rythme du montage des images, lui-même cependant altéré par les transformations imposées au matériel original.

En second lieu, la continuité des images projetées est altérée de manière ininterrompue et nous n’en prenons conscience qu'au moment où les formes perçues sont suffisamment différentes de celles qui étaient vues auparavant. Il n’en est pas autrement de ces autres formes d’altération que sont l’apparition d’une ride sur son propre visage ou de la corruption de la fleur qui se fane. La fragilité de la vie est au cœur de l’expérience esthétique suggérée par l’installation.

En troisième lieu, la succession des voiles constitue un écran incertain, délicat réceptacle aérien qui rend palpable le caractère illusoire des projections qui sont de moins en moins perceptibles dans la profondeur de l’espace et finissent par s'anéantir.

La physique contemporaine à mis en évidence la nature éphémère des photons, ces grains de lumière qui, à la différence des particules élémentaires de la matière  disparaissent aussitôt qu’ils ont livré leur information.

A sa manière, empreinte d'élégance et de délicatesse, cette installation met en scène ces messagers transitoires de la lumière se sacrifiant pour apporter leur message.

Pierre-André Dupire
Octobre 2012