Le titre de cette installation fait référence à l’un des concepts
fondamentaux de l'enseignement bouddhiste. L’impermanence caractérise
tout ce qui croît, s'installe et meurt. Ce changement continu constitue
la nature propre de tous les phénomènes, qui n’existent donc pas en
tant qu’entités individuelles spécifiques, durables. L’enseignement
bouddhiste voit dans la difficulté à admettre cette impermanence la
cause de la souffrance et prône comme seul remède possible à cette
souffrance l’acceptation de la vérité de l’impermanence. C’est quand on
reconnaît que tout change et que rien ne dure qu’on peut trouver la
sérénité.
Admettre la disparition des choses qui ont à peine
commencé d’être, prendre conscience qu’elles ne persistent jamais de la
même façon mais qu’elles disparaissent et se dissolvent aussi vite
qu’elles sont nées, c’est accepter la fragilité essentielle de la vie et
sa propre précarité. C’est se convaincre que la réalité que nous
percevons est une illusion trompeuse. C’est parvenir à ne plus confondre
le phénomène et le noumène sur l’écran de nos propres projections.
Privées
de réalité, les choses n’ont comme seule vérité que leur apparence et
n’existent que comme un voile qui dissimule la vacuité du monde. Rien
n’existe au delà de cet écran trompeur. La seule réalité, c’est ce voile
des apparences, cet écran illusoire.
Faten Safieddine a vécu des
exils successifs et a notamment connu l’exode qui a suivi la guerre
civile qui a ravagé le Liban à partir de 1975. Elle sait l’instabilité,
la nature transitoire des choses, la précarité des campements. Adepte de
la technique du Vipassana, elle pratique depuis plusieurs années une
forme de méditation qui s’attache à la contemplation de cette
impermanence. Les exercices auxquels s’entraîne le méditant ont pour
visée de lui permettre de s’apercevoir que les phénomènes
neuro-physiologiques dont il est le réceptacle ne font que disparaître
sans cesse. .
L’installation Impermanence rend compte de cette
vision globale de l’existence comme dissolution permanente des choses.
Elle se présente comme une succession de voiles translucides suspendus
parallèlement dans l’espace et y formant un volume translucide de 2,3
mètres de côté. Celui-ci constitue ainsi un écran aérien sur lequel sont
projetés en continu trois films représentant chacun un état différent
du film La Chrysalide, co-réalisé par Faten Safieddine et Othman Zine,
qui en constitue la matrice originale unique.
Le film La
Chrysalide a fait l’objet d’une présentation lors de la 4ème Biennale
Internationale d’Art de Marrakech dans le cadre d’une autre
installation intitulée Métamorphoses. Aux fins de l’installation
Impermanence, le film original a été dupliqué à trois reprises après
avoir été l'objet de transformations multiples. De ce traitement
complexe sont issues des images qui n’ont plus qu’un lointain rapport
avec celles dont elles sont le reflet. Elles semblent représenter
quelque forme embryonnaire ou quelque cellule au cours de sa division. Y
sont nettement perceptibles les stades successifs du changement comme
lorsqu’après avoir filmé un processus plan par plan, on en présente le
déroulement en accélérant la vitesse de défilement des images.
Celles-ci s’estompent progressivement au fur et à mesure de la
progression de la lumière à travers l’échelonnement des voiles. Rien ne
semble s’inscrire sur le dernier qui n’ouvre que sur le vide.
La
dissolution progressive des choses et leur caractère transitoire sont
donc matérialisés à plusieurs niveaux par le dispositif présenté. D’une
part, le mode de capture des images projetées qui altère un film
antérieur s’inscrit dans un processus de dégradation progressive de la
réalité antérieure. Il serait difficile, sauf à projeter côte à côte les
différents états du film, d’en reconnaître la similitude. Celle-ci, en
dernière instance, ne serait perceptible qu’à travers le rythme du
montage des images, lui-même cependant altéré par les transformations
imposées au matériel original.
En second lieu, la continuité des
images projetées est altérée de manière ininterrompue et nous n’en
prenons conscience qu'au moment où les formes perçues sont suffisamment
différentes de celles qui étaient vues auparavant. Il n’en est pas
autrement de ces autres formes d’altération que sont l’apparition d’une
ride sur son propre visage ou de la corruption de la fleur qui se fane.
La fragilité de la vie est au cœur de l’expérience esthétique suggérée
par l’installation.
En troisième lieu, la succession des voiles
constitue un écran incertain, délicat réceptacle aérien qui rend
palpable le caractère illusoire des projections qui sont de moins en
moins perceptibles dans la profondeur de l’espace et finissent par
s'anéantir.
La physique contemporaine à mis en évidence la
nature éphémère des photons, ces grains de lumière qui, à la différence
des particules élémentaires de la matière disparaissent aussitôt qu’ils
ont livré leur information.
A sa manière, empreinte d'élégance
et de délicatesse, cette installation met en scène ces messagers
transitoires de la lumière se sacrifiant pour apporter leur message.
Pierre-André Dupire
Octobre 2012